
EXTRAIT
Ma mère avait coutume de m’appeler la mante religieuse (le terme en arabe est « jument de prophète », ce qui est très beau, si vous voulez mon avis) parce que j’étais grande et maigre. Je pense qu’elle voulait dire un phasme, mais que ce soit quand j’étais enfant ou plus tard à l’âge adulte, je l’ai rarement reprise lorsqu’elle faisait des fautes. Cependant, assise à présent face à elle, je me rends compte qu’elle est bien plus maigre que je ne l’ai jamais été. Elle est passée de Rubens à Schiele.
Durant des années, Aaliya a travaillé dans une petite librairie de la capitale libanaise. C’est une solitaire, elle n’aime pas particulièrement les gens. La lecture est son monde intérieur, toute sa vie. Amoureuse des livres, des mots et des écrivains, elle parle français, anglais et arabe. Son secret est de traduire les livres de ses auteurs préférés en arabe. Elle a toujours commencé ses travaux un premier janvier, une superstition toute personnelle.
Maintenant elle a soixante-douze ans et continue d’exercer sa passion. Au cours de sa vie, elle a traduit trente-sept livres. Lorsqu’elle commence une nouvelle traduction, elle se sent en territoire familier avec ses propres rituels. Quand elle a terminé, elle range tout son travail dans des cartons. Le fait de traduire est un cri du cœur, un cri de vie qui l’aidera à surmonter les affres de la guerre civile du Liban.
Beaucoup de gens avaient fuit la ville. Pendant toute cette période de peur, elle a dormi avec un fusil d’assault AK-47 à côté d’elle. Dans son immeuble, trois des ses voisines sont restées, Fadia, Marie-Thérèse et Joumana. Aaliya a eu aussi une amie, Hannah, qui a préféré prendre une autre direction. Elle lui manque beaucoup, c’était sa seule véritable amie.
Ma note : 4/5
Ce que j’en pense…
La performance de l’auteur, Rabih Alameddine, peintre et écrivain, a été de s’exprimer avec une écriture toute féminine. Les mots tombent juste par rapport aux pensées et aux épreuves que traverse la protagoniste principale, Aaliya.
Cette traductrice humble et secrète n’a jamais cherché à faire connaître son travail. Elle nous entretiendra des problèmes que la guerre apporte, du temps qui passe, de sa mère qui lui a posé des problèmes tout au long de sa vie …
Elle n’a jamais voulu quitter cette ville en guerre et parle de son existence à travers ses auteurs préférés comme Pessoa, Kant, Javier Marias, Calvino, Gabriel Garcia Marquez, Brodsky, Sebald etc… Très cultivée, elle transporte leurs citations dans son monde. C’est ce qui l’aidera à traverser sa vie et qui nous donnera, à nous lecteurs, l’envie de les connaitre.
La littérature, la musique, la peinture et l’histoire de Beyrouth sont à l’honneur au travers des yeux de cette femme éprise de liberté.
EXTRAIT
Il y a une histoire merveilleuse à propos de Pavese, après sa mort. A son retour d’exil, à la fin des années trente, il travailla pour Einaudi, l’éditeur de gauche, il publia et édita des livres. La maison Einaudi publia ses œuvres et géra sa succession après sa mort. Le jour où le Premier ministre de droite Silvio Berlusconi racheta Einaudi, il y eut une inondation dans l’ancienne maison de Pavese. Une conduite explosa, détruisant la totalité de ses papiers. Dans sa tombe, Pavese ne voulait pas laisser ce goujat à face de rat gagner un centime avec son œuvre.
Les vies de papier
Auteur : Rabih Alameddine
Traducteur : Nicolas Richard
Editions : Les escales
Publication : Août 2016
Nombre de pages : 326
EAN : 9782365692069
Prix Femina étranger 2016
Catégories :Roman
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