
Ils créèrent un double prieuré. D’un côté, les hommes se dédiaient à l’église Sainte-Perpétue et de l’autre les femmes se rassemblaient autour de l’église Sainte-Marie.
Les deux établissements avaient à leur tête une prieure et un prieur désignés par les moines de Saint-Victor. Cette institution avait le rang de prieuré.
Mais un vent de liberté émanant des bénédictines de Sainte-Marie souffla jusqu’aux aux oreilles de Louis Alphonse, prieur de l’abbaye Saint-Victor de Marseille. Il mandata Cornélius, moinillon plein de ferveur religieuse, pour enquêter sur la véracité de ces problèmes de mœurs. Un rapport très précis lui sera exigé.
Avec sa mule comme compagnon de route, notre jeune religieux partit sur les chemins de Provence en direction de Brignoles. Jeune et inexpérimenté, il commença à ressentir quelques angoisses au fil de sa route en pensant à sa mission. C’est alors qu’il entendit la voix de Marie-Magdeleine, disciple de Jésus et prostituée qui lava de ses larmes les pieds du Seigneur. Celle-ci l’encouragea à se poser des questions sur les femmes en général et qui plus est, les religieuses. Pourquoi les femmes sont-elles écrasées même dans la religion ?
Une fois à la Celle, Cornélius fut accueilli par Adrien, le secrétaire du père Louis Fournier, prieur de l’abbaye. Notre jeune ecclésiastique découvrit une société qui, malgré les épisodes de peste s’étendant de l’Espagne jusqu’aux frontières d’Italie, ne donnait pas l’air d’avoir souffert de ce fléau.
EXTRAIT
La peste, ou bossa, le fléau le plus hideux de la Méditerranée, étendait son linceul de l’Espagne aux confins de l’Italie. Une maladrerie de fortune sur la route de Val suppléait au manque de couchages de l’hôpital des Pauvres Hommes, de celui des Pauvres femmes ou encore de Saint-Lazare. On entassait pêle-mêle les malades, les agonisants et les morts. Un pestier creusé au bord de la rivière recevait les charrettes emplies de cadavres. Parfois, dans la précipitation et la hâte de s’en débarrasser, on empilait des contagieux pas tout à fait refroidis qui tressautaient et gémissaient.
Il s’entretint avec le père Fournier qui lui exposa l’énigme que représentait pour lui ces dames de la Celle. La meneuse est Lucrèce Barras de la Roubine élue abbesse depuis des années. Louis Fournier trouvait qu’avec les femmes tout ce qui est simple s’embrouillait et aussi qu’elles prenaient un malin plaisir à l’humilier parce qu’elles rejetaient les pouvoirs masculins. Les règles n’étaient pas toutes les mêmes dans cette abbaye où les hommes et les femmes vivaient séparément.
Un soir, dans sa petite chambre, Cornélius aimerait avoir les éclairages de Marie-Magdeleine sur cette situation et lui reprocha d’être bien silencieuse. La voix manifesta son mécontentement suite à cette remarque et lui demanda si elle devait apparaître au moindre claquement de doigt ou s’il ne la cantonnait pas à un rôle de servante, d’esclave ou de mère généralement attribué aux femmes. Elle l’invita à revoir ses manières.
L’abbaye de la Celle attirait la richesse, la noblesse et bénéficiait d’une réputation de distinction. Elle se trouvait sous la protection des cardinaux et ses évêques. Les sœurs de la Celle occupaient le plus haut degré de la hiérarchie féodale. L’admission au cloître pour les aspirantes religieuses s’évaluait au montant de la dot de la postulante qui devait toujours être une belle femme. L’essentiel de sa dot était son patrimoine. L’argent faisait loi dans cet univers clos.
Louis Fournier introduira Cornélius auprès de l’abbesse en qualité de greffier, d’archiviste et de traducteur. Sous ce couvert, il lui demandera de collecter les moindres faits, habitudes, documents etc … afin de tout savoir sur la vie de ces femmes qui le perturbe tant.
EXTRAIT
Le Seigneur avait donné les clés et la conduite de son église à saint Pierre et non à sa très sainte mère bien qu’elle soit la plus parfaite créature qu’il ait façonnée. Les nonnettes, confiait-il, sont des esclaves de leur amour-propre, s’occupent d’elles-mêmes et oublient Dieu. Il n’y a en elles que du venin. Elles désirent être caressées, estimées, adorées. Elles font tout ce que le diable veut. Finesse, hypocrisie, mensonge sont leur art d’exister.
Après des mensonges, des manipulations, des disparitions, des meurtres, des séquestrations et une révolte, les langues vont se délier …
Ma note : 4/5
Ce que j’en pense…
C’est un roman historique très détaillé, autant par les descriptifs des chemins de Provence que par son histoire pure que nous apporte Jean Siccardi.
Le fil conducteur de ce livre est la place de la femme en général et, qui plus est, dans le monde de la religion. Une sphère qui reste extrêmement secrète… D’ailleurs, existe t-il un équivalent féminin du mot « Seigneur » ?
Ces religieuses firent scandale et courroucèrent la gente masculine du prieuré sous prétexte que ces dames luttaient déjà pour leurs droits et leur indépendance avec des armes exclusivement féminines. Les bouffées de chaleur furent réservées aux bénédictins qui craignaient de s’approcher du diable !
Mais en fait, elles leur firent payer à tous ce qu’on leur avait fait subir. Pourquoi étaient-elle cloîtrées dans une abbaye ? Avaient-elles toutes la vocation de religieuse ? Qu’avaient-elles demandé ? La raison de leur enfermement était toute simple : en ces temps, la loi sur l’héritage fut un peu différente de celle de nos jours. Après le décès des parents, la succession n’était pas divisée à parts égales entre les enfants. Le fils aîné maintenait sa place de gardien du nom et du titre mais se gardait aussi tout le reste … Les frères cadets s’en allaient … où ils voulaient et si les filles ne trouvaient pas de mari, elles finissaient au couvent ! Généralement intelligentes, elles n’avaient pas fait vœux de chasteté, elles !
Au monastère de la Celle, les bénédictines possédaient des terres, des rentes et subsides de nobles importants, de maisons, de bijoux dont elles faisaient légalement le commerce. Elles étaient entrepreneuses avant l’heure et faisaient fructifier leur pécule.
Oui, elles n’étaient pas tendres avec ceux qui leur résistaient mais elles avaient, à leur tour, amassé un sacré patrimoine ! Ces victimes de la condition féminine de l’époque ont fait un beau retour à l’envoyeur à ces messieurs ! Et qu’en pensent les voix célestes ?
Le souper de l’abbesse
Auteur : Jean Siccardi
Editeur : Presses de la cité
Publication : Février 2013
Nombre de pages : 273
Catégories :Roman inspiré de faits historiques
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