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Entre tradition et modernité

LE COURAGE DES RIVIERESPremier roman pour Emmanuelle Favier qui nous emmène dans un village perdu des montagnes d’Albanie où les traditions ancestrales sont tenaces.
Manushe a renoncé à sa condition de femme pour échapper à un mariage arrangé avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle.
En échange, elle a fait voeu de chasteté et renonce à tout ce qui concerne sa féminité. Elle accepte de ne pas se marier, ne pas avoir d’enfant, ne pas s’habiller comme une femme. Elle endosse les avantages du sexe masculin comme travailler et participer aux décisions collectives du village.
Elle devient donc une « vierge jurée » ou « vierge sous serment », tradition qui remonte au Moyen-Age. Les « vierges jurées » prennent l’engagement de vivre sans homme. C’est la seule solution pour échapper à un mariage arrangé sans que sa famille soit déshonorée. Elle doit poursuivre sa vie comme si elle était née homme, elle devient une « femme-homme » Si elle enfreint ces règles, elle s’expose à de graves problèmes …
Maintenant, Manushe a les cheveux courts, grisonnants et porte des pantalons. Elle fume, boit et elle a pouvoir de décision lors des réunions du village. Elle a endossé ce statut de « femme-homme » après avoir été traumatisée dans l’enfance.
Elle habite ce village depuis vingt ans et mène une vie tranquille et sans histoires jusqu’au jour où Adrian frappe à sa porte …
Nous assisterons à la rencontre de deux êtres au destin contrarié et parfois tragique.
EXTRAIT
Concentrée sur l’effort, Manushe regardait parfois Adrian à la dérobée. Le visage aux joues très pâles que teintait l’effort, la sueur lisse sur les tempes. Elle ne comprenait pas ce qui l’avait poussée à accepter son aide, elle qui mettait un point d’honneur à tout faire seule. Plus tard, elle repenserait à sa réaction. Elle sentirait une forme de frustration. Elle s’apercevrait qu’elle aurait voulu affirmer, auprès de cet homme, son état de femme. Lui dire. Se défendre d’être ce que racontaient ses vêtements, sa coupe de cheveux, sa manière de se déplacer, ses mains calleuses et tâchées de nicotine, de cambouis ou de terre, la montre même à son poignet.
En savoir plus sur cette tradition…
Cette tradition européenne remonte au 15ème siècle. Ces femmes sont surnommées les « burmeshë » (de « burrë », homme, et « neshë », suffixe féminin). C’est un phénomène concentré au nord de l’Albanie, à la frontière avec le Kosovo et le Monténégro.
Pour échapper très jeunes à un mariage arrangé, par manque d’héritier mâle ou au décès d’un père sans fils dans le reste de la famille, ces jeunes filles faisaient le choix de devenir une « vierge jurée ».
Elles faisaient vœu de chasteté, renonçaient à toute féminité et vivaient leur vie en endossant le costume d’un homme. Pour elles, il était plus facile d’être masculin que féminin et de plus la communauté respectait leur sacrifice.
En Albanie, la tradition du « Kanun » ne réservait pas la meilleure place à la femme. Considérées juste capables de subvenir aux tâches domestiques et de s’occuper des enfants, un code oral précisait aussi que leur vie valait la moitié de celle d’un homme, dont elles restaient la propriété. Mais la vie d’une « vierge jurée » valait autant que celle d’un homme, c’est-à-dire 12 bœufs !
Une fois, le serment prononcé, elles avaient le droit de conduire, de gérer une affaire, de gagner de l’argent, de boire, de fumer, de posséder une arme et de s’habiller comme les hommes. Elles gagnaient le respect et la tranquillité aux yeux de la société. Une petite dizaine de ces femmes sont encore en vie en Albanie.
Ma note : 3/5
Ce que j’en pense…
Comment construit-on sa propre identité ?
Cet ouvrage qui regorge de surprises est une sorte de conte avec une approche de la modernité abrupte qui ne fait qu’accentuer l’archaïsme de ces coutumes qui semblent être hors du temps.
En tout cas, joli premier roman beau, original et parfois tragique que nous livre Emmanuelle Favier. Son originalité se trouve dans ce sujet des « vierges jurées ».
La condition féminine y tient le premier rôle suivie de très près par la construction identitaire et la recherche de liberté ou d’exister tout simplement. L’atmosphère mélangeant les coutumes ancestrales et l’approche du monde moderne est toute particulière.
Nous trouvons ici trois portraits de femmes : la vierge jurée, la fille reniée et transformée, la fille née du viol de sa mère. Ces femmes vont en croiser d’autres, prostituées, épouses, mères … mais aucune n’a un statut enviable. Les destins de Manushe, Adrian, Gisela, Dirina et Enton vont se croiser, certains ou certaines s’en sortiront, d’autres pas …
Face à elles, le monde des hommes n’est pas très reluisant : ivrognes, proxénètes … société masculine qui se veut forte … Pour relever le tout, nous avons quand même dans ce roman un déménageur poète et un chef de village ouvert à la culpabilité … juste un peu, pas trop !
Manushe semble être la protagoniste principale dans les débuts de ce livre mais elle sera vite détrônée par Adrian dont l’histoire ne manque pas de rebondissements. Le chemin que la vie lui a fait prendre pour rencontrer Manushe est très émouvant.
La quête d’amour criante de Manushe finira par l’emporter. Grâce à sa force et sa détermination, elle finira par trouver un bonheur très précieux.
Pourquoi ce titre de livre ?
Emmanuelle Favier a nommé son roman Le courage qu’il faut aux rivières car celles-ci font un travail énorme pour atteindre la mer. Elles contournent des montagnes, deviennent des lacs etc …
La stratégie d’adaptation de l’eau pour arriver à son but peut être aussi la même dans la vie. L’eau est une métaphore de la vie et de la liberté et il faut contourner les obstacles avec force et obstination pour construire sa propre identité.
C’est une lutte incessante contre les coutumes, l’éducation, les croyances etc … Le courage qu’il faut aux rivières est un chemin plein d’espoir.
Le courage qu’il faut aux rivières
Auteure : Emmanuelle Favier
Editions : Albin Michel
Publication : Août 2017
Nombre de pages : 217
ISBN-10 : 2226400192
ISBN-13 : 978-2226400192

Catégories :Premier roman

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