La vie d’Edmond Charlot, éditeur algérois passionné par son métier, est mise en lumière dans le livre, Nos richesses, de Kaouther Adimi.
En à peine 200 pages, vous voyagerez à travers une histoire pleine d’une merveilleuse nostalgie qui fera un clin d’œil à la ville d’Alger, à une librairie, à des écrivains célèbres et des liens entre hommes d’exception … C’est l’effervescence intellectuelle des années trente à Alger.
Alger 1936, Edmond Charlot, 21 ans, ouvre sa première librairie « Les vraies Richesses » avec une devise « des jeunes, pour les jeunes, avec les jeunes ». L’appellation de son local est le titre d’un livre écrit par Jean Giono.
Malgré son manque de moyens financiers, il sera un libraire, éditeur et galeriste acharné. Des expositions d’œuvres d’art seront organisées dans sa petite échoppe et le prêt de livres sera instauré.
« Les Vraies Richesses » verront défiler des auteurs encore inconnus à l’époque comme Albert Camus, Jules Roy, André Gide, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Emmanuel Roblès, Jean Amrouche, Himoud Brahimi, Mohamed Dib. C’était une place de rencontres, d’échanges et d’amitié.
EXTRAIT
Déjeuner avec Gabriel Audisio, de passage à Alger. Longue discussion sur l’édition et la littérature. Je lui ai dit que je ne cherchais pas de la cohérence mais que je publiais avant tout ce que j’aimais, et uniquement des livres que je me sens capable de défendre auprès de la presse et des lecteurs. Mon engagement doit être absolu. C’est ainsi que je conçois mon travail. L’écrivain doit écrire, l’éditeur doit donner vie aux livres. Je ne vois pas de limite à cette conception. La littérature est trop importante pour ne pas y consacrer tout mon temps.
Edmond Charlot prend soin de ses auteurs comme de ses lecteurs, toujours à l’affût de nouveaux talents. Pour lui, sa librairie est un open-space des lecteurs et écrivains de la Méditerranée.
Il fut le premier à publier les œuvres de Camus, l’Envers et l’Endroit et Noces. Il compléta son portrait en étant aussi un éditeur de la résistance pendant la seconde guerre mondiale. En 1943, il imprime clandestinement Le Silence de la mer de Vercors à la suite des Editions de Minuit. C’est l’histoire, basée sur des faits réels, d’un officier allemand épris de culture française … thème un peu difficile à aborder à cause de la situation difficile de cette période.
EXTRAIT
Aujourd’hui encore, des clients intéressés uniquement par les derniers prix littéraires. J’ai essayé de leur faire découvrir de nouveaux auteurs, de les inciter à acheter l’Envers et l’Endroit de Camus, mais totale indifférence. Je parle littérature, ils me répondent auteurs à succès.
Alger est encore libre à cette époque. Mais aux prémices de la guerre, une pénurie importante de papier se fait sentir. Qu’importe ! Edmond Charlot en achètera sur le marché noir et il réussira à publier 20000 exemplaires sur des feuilles multicolores. C’est le temps de la débrouille.
En 1961, sa librairie a été plastiquée deux fois par l’OAS (Organisation Armée Secrète). Il a tout perdu, il n’a plus le sou.Il travaillera par la suite à Radio France, dans des postes culturels à Alger, Izmir et Tanger. Des années plus tard, il se retirera à Pézenas, en France, où il ouvrira son ultime librairie.
Petit retour sur le parcours d’Edmond Charlot
1915 Naissance à Alger
1936 Ouverture de la librairie « Les Vraies Richesses » à Alger
1939 Mobilisation
1940 Démobilisation
1942 A cause de cette période de guerre, pénurie totale d’encre
et de papier
1942 Remobilisation
1944 Edmond Charlot ouvre une succursale à Paris et changera
trois fois de local
La succursale parisienne ne résistera pas au temps faute d’avoir eu un fond de roulement suffisant. Il fallait aussi compter sur une jalousie féroce de la part de certains de ses rivaux dans ce monde professionnel qui voyait d’un mauvais œil l’arrivée de ce petit éditeur algérois au sein de la capitale française.
1947 Edmond Charlot cède les « Vraies Richesses » d’Alger à son
frère Pierre. Il n’a plus le temps de s’en occuper et a besoin
d’argent.
1948 Avec l’accumulation des dettes, les actionnaires de cette
filiale parisienne exigent sa démission. Le passif est évalué
à 22 millions d’anciens francs de l’époque.
1949 Les Editions Charlot sont déclarées en faillite par le
Tribunal de Paris.
1950 Retour à Alger après cet échec
1961 Sa librairie est plastiquée à deux reprises la même année
par l’OAS. Tout est détruit.
1962 Retour à Paris
1962 à 1965
Travaille à l’ORTF
1965 Retour à Alger.
Il est nommé Responsable des échanges culturels franco-
algériens à l’Ambassade de France. Il participe à la création
des centres culturels français en Algérie.
1969 Nommé vice-consul, il dirige le centre culturel français
d’Izmir en Turquie.
1973 à 1980
Attaché culturel au centre culturel de Tanger.
Il s’établit ensuite à Pézenas en France où il s’éteindra en 2004.
Les années passent … Les époques changent … Revenons à nos jours …
Paris, 2017
Ryad, un jeune parisien d’une vingtaine d’années n’arrive pas à trouver de stage en entreprise pour pouvoir clôturer son cycle d’ingénierie à l’université.
Son père connait un ami à Alger qui doit rénover une annexe de la Bibliothèque Nationale, anciennement la librairie « Les Vraies Richesses ». Ce local doit être transformé en échoppe destinée à la vente de beignets. Cet ami recherche donc un étudiant qui accepterait d’effectuer un stage en débarrassant l’endroit de tous ses livres et cartons abandonnés depuis longtemps puis de donner un coup de peinture sur les murs.
Bon gré, mal gré, Ryad accepte. Il remettra le lieu en état et obtiendra un tampon validant sa convention de stage en vue d’obtenir son diplôme d’ingénieur.
Ryad n’aime ni les livres, ni la littérature, ni la peinture, ni le ménage et se retrouve un peu dépité en arrivant devant cette échoppe bien vieillotte et laissée à l’abandon.
Ma note : 4/5
Ce que j’en pense…
Ce troisième ouvrage de Kaouther Adimi est un roman d’exofiction. Cela consiste à mettre en scène un personnage réel, Edmond Charlot, représenté par les extraits de ses carnets, avec des personnages de fiction, en l’occurrence, Abdallah et Ryad.
C’est un roman est basé sur deux parties, le passé et le présent, avec comme fils conducteurs la littérature et l’Algérie. Trois protagonistes principaux participent à ce paysage :
– Edmond Charlot (personnage réel)
– Abdallah et Ryad (personnages de récit)
Au travers du regard de ces trois hommes, la librairie « Les Vraies Richesses », coincée entre une pizzeria et un marchand de légumes dans une ruelle d’Alger, va nous faire découvrir l’histoire d’un éditeur enthousiaste.
L’histoire des Editions Charlot est liée à celle de l’Algérie pendant ces périodes compliquées de luttes pour l’indépendance en passant par les massacres de Setif, Guelma et Kherrata (1945), la Toussaint Rouge (1954) qui représente le début de la guerre d’Algérie et les massacres de Paris (1961).
Nous découvrirons aussi un précurseur dans le domaine du marketing de l’édition. Il inventera les couvertures à rabats qui permettent d’ajouter des éléments sur le contenu du livre et des renseignements sur l’auteur. Maintenant cela nous paraît habituel.
EXTRAIT
« 17 mai 1938 »
[…] Mon engagement doit être absolu. C’est ainsi que je conçois mon travail. L’écrivain doit écrire, l’éditeur doit donner vie aux livres. Je ne vois pas de limite à cette conception. La littérature est trop importante pour ne pas y consacrer tout mon temps. «
Les personnages
Edmond Charlot est attachant, plein de sincérité. Il surmonte toutes les tempêtes. Chef de file de « la bande à Charlot » avec Albert Camus, Jules Roy, Max-Pol Fouchet, Albert Cossery, Emmanuel Roblès, Mouloud Mammeri, il publia les écrits de ses amis, écrivains en devenir qui devinrent célèbres.
Abdallah captive l’attention car il est là, comme un sphinx qui traverse le temps, sans bouger. Il est intemporel et c’est d’ailleurs lui qui fera le trait d’union entre ces deux époques. Il a dédié sa vie aux livres. Il est la mémoire vivante des lieux. Il surveille le savoir …
Il a passé des années à vivre nuit et jour dans cet endroit et dormait dans une mezzanine minuscule située au-dessus de la boutique. Le matelas est encore là … Il est le gardien des livres des « Vraies Richesses ». Maintenant que ce ne sont plus que des murs abandonnés, il se tient debout, le jour, la nuit, sous le soleil, sous la pluie, revêtu d’un drap blanc, tel un linceul en attendant la mise à mort de ce lieu dédié à la littérature contre une échoppe de beignets ! C’est l’agonie de sa vie.
Avec la personnalité de Ryad, on saute dans une autre monde. Il est jeune, n’a pas envie de venir à Alger, ni de quitter les bras de sa petite-amie. Et en plus, il faut qu’il travaille ! L’histoire d’un pays, d’une ville ou des murs est quelque chose de totalement abstrait pour lui ! Il s’y trouvera pourtant confronté …
Kaouther Adimi a complété son oeuvre par des éléments bibliographiques. Elle a rencontré des personnes ayant connu Edmond Charlot et les publications des Editions Domens lui ont permis de peaufiner ce travail. Son travail de recherche lui a pris une année.
J’ai beaucoup aimé ces flash-back de l’histoire entre 1930 et 2017, avec ce mélange de faits réels et romancés.
Nous sommes au cœur d’époques, d’identités et de mondes différents. Le passé et le présent jouent avec les différences générationnelles qui s’opposent et qui, peut-être, pourront se retrouver un jour …
Nos richesses
Auteure : Kaouther Adimi
Editions : Seuil
Publication : Août 2017
Nombre de pages : 224
ISBN-10 : 2021373800
ISBN-13 : 978-2021373806
Prix Renaudot des lycéens
Prix du style
Catégories :Roman inspiré d'une histoire vraie
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