
Ces hommes et femmes n’ont qu’un seul rêve : l’évasion. Bien sûr, aucun n’est venu de son plein gré aux Etats-Unis. Toute jeune, Ajarry, a été enlevée de son village d’Afrique de l’Ouest et vendue sur la terre des Randall. Elle a eu plusieurs enfants. Ils sont morts d’accident ou de maladie sur les terres de ses maîtres, sauf une. Une de ses filles, Mabel, survivra. Et à son tour, Mabel donnera le jour à Cora. Mais aux ses 10 ans de sa fille, Mabel s’enfuit laissant sa fille derrière elle.
Il lui fallait échapper aux violences quasi quotidiennes pour survivre. Elle reviendra chercher Cora, elle en est sûre. On ne retrouvera jamais Mabel ; elle restera un défi pour ces chasseurs d’esclaves incapables de la rattraper …
Cora est élevée par sa grand-mère Ajarry qui cultive un minuscule lopin de terre qu’elle a réussi à s’approprier dans la partie réservée aux esclaves. Cora pense que sa mère l’a abandonnée et ressent beaucoup d’amertume contre elle.
Caesar est un esclave arrivé de Virginie. Il a déjà remarqué Cora dans la rue. Il lui propose de s’enfuir ensemble. Il pense qu’elle porte bonheur car personne n’a jamais retrouvé sa mère, Mabel. Cora a 16 ans et refuse sa proposition. Elle connait la mort atroce que l’on réserve à ceux qui se font prendre. Ils sont pendus, brûlés, écartelés ou cloués sur des poteaux. Un jour, ayant voulu protéger un petit garçon de 10 ans contre les coups des Randall, elle se retrouve punie une fois de plus. Ce sont de vraies tortures. Après avoir été fouettés, leur dos est enduit de piment ou de sel ce qui provoque des jours de fièvre et de souffrance.
A force de persuasion, Caesar arrive à convaincre Mabel de le suivre. Il a déjà pris contact avec un réseau clandestin qui aide les captifs à devenir libres. Personne n’ose en prononcer le nom à voix haute : le chemin de fer souterrain. Au péril de leurs vies, nos deux fugitifs s’enfuient pour rejoindre les états libres du Nord. Ils traverseront la Caroline du Sud, l’Indiana, le Tennessee, encore plus violent que les autres. La Virginie, afin d’éviter les émeutes, a décidé de chasser tous les Noirs du territoire et d’engager des immigrés blancs pour travailler la terre et elle lynchera tous les Noirs et sympathisants de la cause abolitionniste.
Ils seront poursuivis par Ridgeway, un chasseur d’esclaves très réputé pour sa violence et son manque d’état d’âme. Sa mission est de défendre «l’esprit américain» par tous les moyens. Il a le permis de tuer. Il est obsédé par Cora, fille de Mabel qu’il n’a jamais pu capturer. Il fait un transfert. Pour lui, c’est un affront.
EXTRAIT
New-York marqua le début d’une période folle. Ridgeway travaillait comme récupérateur et filait dans le Nord dès que la police annonçait la capture d’un fugitif de Virginie ou de Caroline du Nord. New-York devint une destination fréquente, et après avoir exploré de nouvelles facettes de sa personnalité, Ridgeway fit monter les enchères. Chez lui, le commerce des fugitifs était une affaire très simple : il suffisait de taper sur quelques têtes. Au nord, la métropole gargantuesque, la liberté de mouvement et l’ingéniosité de la communauté de couleur convergeaient pour donner à voir la véritable ampleur de la chasse.
Chaque état traversé présentera un nouveau visage sur les horreurs de l’esclavage. Cora se retrouvera devant une route morbide où ses semblables sont pendus et pourrissent sur les arbres afin de donner une leçon à la communauté. Tout cela n’est qu’une infime partie de ce qu’ils devront endurer. Caroline du Sud, Caroline du Nord, Indiana, Cora remonte vers le Nord et découvre dans chaque état une forme de racisme différente. La stérilisation féminine en masse et le non-traitement des maladies sur des hommes noirs alors que les remèdes existent. La pendaison et le lynchage pour les blancs se montrant trop conciliants avec les esclaves, repli communautaire dans un état «progressiste» tenant plus du miroir aux alouettes que d’un espoir réel. Cette jeune femme de 16 ans, découvre que le monde rend les hommes méchants.
EXTRAIT
Il venait d’acheminer sa dernière cargaison à la ferme Valentine, une famille de trois personnes qui se cachait dans le New-Jersey ; ils s’étaient infiltrés dans la communauté noire locale, mais un chasseur d’esclaves furetait dans les parages et il était temps de fuir. C’était son ultime mission pour le réseau. Il était en route pour l’Ouest. « Tous les pionniers que je rencontre, ils crachent pas sur le whisky. Ils auront besoin de barmen en Californie ».Cela réconforta Cora de voir son ami heureux et bien en chair. Parmi tous ceux qui l’avaient aidée, ils étaient si nombreux à avoir connu un sort terrible. Lui au moins, elle n’avait pas causé sa mort.
oOo
Elle se retrouvera entourée de fossoyeurs, de docteurs sinistres, d’agents de station héroïques, d’abolitionnistes conflictuels. Elle trouvera l’amour, le perdra, se fera rattraper par Ridgeway, fuira de nouveau mais seule, elle arrivera sur le chemin de la liberté.
Ma note : 3/5
Ce que j’en pense…
Le roman de Colson Whitehead fait ressortir les vieux démons de l’esclavagisme américain et la prise de conscience des milieux abolitionnistes. A travers le destin de Cora nous explorons différents états, différentes expressions du racisme toujours brutales. Chaque chapitre marque une étape dans sa fuite et l’accession à sa liberté au prix de la peur, la faim, la violence contre les opprimés et aussi contre ceux qui les ont aidés.
Lors du 19ème siècle, dans l’état du Mississippi, les Noirs étaient importés comme une marchandise depuis l’Afrique. Les esclaves représentaient 4 millions d’êtres humains pour une population de 31 millions d’habitants et étaient considérés comme des biens et rien d’autre.
L’Underground Railroad fut un réseau créé par des abolitionnistes blancs et des esclaves noirs affranchis. Leur but était de sauver le plus de personnes possibles. Les blancs adeptes de ce mouvement étaient obligés de se cacher au risque de subir un sort peu enviable. Les chasseurs d’esclaves avaient le droit de « visiter » les maisons des blancs sur simple dénonciation d’autrui. Le climat était délateur pour une poignée de pièces.
L’expression, Underground Railroad, fait son apparition dans la presse au début des années 1840. Le prolongement des routes vers le Canada était devenu indispensable à cause d’une loi sur les esclaves fugitifs en 1850, Le Fugitive Act. Cette loi officialise le développement des slave-catchers (captureurs d’esclaves) dont le but était de les rattraper lors de leur fuite et de les remettre à leur propriétaire moyennant finance.
Dates importantes :
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1619, les colons anglais installés à Jamestown (Virginie) achètent des africains à des marchands hollandais pour travailler dans les plantations de Virginie aux côtés de serviteurs blancs venus d’Europe. Le travail du tabac était très rentable.
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1624, les premiers esclaves noirs débarquent à la Nouvelle Amsterdam (Nieuw Amsterdam en hollandais) qui sera rebaptisée New-York par les anglais en 1664.
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1640, dans les constitutions du Maryland et de la Caroline, l’esclavage est attesté. Progressivement, des esclaves d’Afrique sont installés dans les colonies centrales et du nord, certains venant aussi des Antilles ou du Brésil.
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1700, l’esclavage est devenu une réalité pour les colonies du Sud qui possèdent des « codes noirs » (lois américaines, votées par les états ou au niveau local limitant les droits fondamentaux et civiques des Noirs). Ils demeuraient esclaves à vie et héréditairement. Pendant le 18ème siècle, les arrivées d’esclaves sont massives, le besoin de main d’œuvre étant important dans les champs de coton du Sud, fournisseurs des industries européennes.
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1783, le Massachusetts a aboli l’esclavage, tandis que les esclaves new-yorkais sont progressivement libérés par leurs maîtres entre 1785 et 1799. Dans chacun de ces Etats, des mouvements humanitaires et sociaux s’opposent à l’esclavage.
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1808, interdiction du commerce des esclaves
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1820, le mouvement d’aide aux esclaves en fuite débute dans les états du Nord. Cela a permis de sauver des milliers de personnes entre 1820 et 1860.
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18 décembre 1865, abolition de l’esclavage aux Etats-Unis (13ème amendement)
1865 signe officiellement la fin de l’esclavage mais bien d’autres actions perpétrées après cette date démontrent bien que les esprits opposent de la résistance. Le racisme médical a perduré durant de nombreuses années. Pour ne pas le citer, ce scandale sur l’étude Tuskegee en 1932. Celle-ci ne devait durer que six mois. Elle s’est prolongée durant 40 ans sous la direction du service de santé publique des Etats-Unis.
399 Noirs souffrant de syphilis ont été enrôlés, de même que 201 sujets en bonne santé, à titre de groupe-contrôle. À l’époque, les antibiotiques demeuraient à découvrir et les traitements disponibles, à base d’arsenic, de mercure et de bismuth, étaient à la fois dangereux et peu efficaces. L’étude avait pour but de déterminer s’il ne serait pas mieux, pour l’état des syphilitiques, que ces derniers ne soient pas soumis à ces traitements.
Les patients inscrits étaient de pauvres fermiers sans éducation, et n’ont jamais donné leur consentement éclairé. De plus, les chercheurs responsables, parmi lesquels, il faut le dire, se trouvait du personnel médical afro-américain, leur ont caché leur véritable état. Les sujets ont simplement été informés qu’ils étaient traités en raison de leur « mauvais sang », un terme générique alors utilisé pour décrire une variété de problèmes médicaux.
En échange de leur participation, les hommes recevaient des « traitements gratuits » ainsi que le transport le jour de consultation à la clinique. Un un repas chaud leur était servi. En cas de décès, les frais funéraires étaient couverts, mais seulement si la famille acceptait qu’une autopsie soit effectuée. La notion de « traitements gratuits » est particulièrement choquante. Non seulement les sujets n’ont pas reçu les traitements, mais on leur a également empêché d’en recevoir lorsque cela est devenu possible. Il faut savoir que ces « traitements gratuits » consistaient entre autres en de douloureuses ponctions lombaires dont le seul objectif était de déterminer la progression de la maladie.
Underground Railroad entremêle la fiction et la réalité au cœur d’un pays, qui pour se construire, a dû camoufler une réalité sanglante derrière le rêve américain. Les faits historiques, plutôt violents, nous révèlent des détails qui n’auraient jamais dû exister. Chaque livre, chaque reportage sur l’esclavage ou toute oppression existante nous envoie l’impensable en pleine figure !
Underground Railroad
2017 – Prix Pulitzer de la Fiction
Auteur : Colson Whitehead
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Serge Chauvin
Editions : Albin Michel
Publication août 2017
397 pages
Catégories :Auteur Américain Littérature américaine Roman historique
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