
Réouverture de l’affaire : un soir de 1941, Georges Girard discute dans le salon du château avec sa soeur Amélie pendant que la bonne finit son travail dans la cuisine. Son fils, Henri Girard, s’est déjà retiré dans sa chambre dans une autre aile du château. Georges et Amélie terminent leur conversation vont se coucher. Louise, l’employée de maison depuis des années, fera de même.
Peu de temps après la lumière s’éteint. C’est sûrement une panne d’électricité. Le père et la tante d’Henri n’ont pas eu le temps de se vêtir de leurs vêtements de nuit. Pendant qu’il dort, un triple assassinat a lieu dans le château d’Escoire en Dordogne. Ils sont tous morts dans une mare de sang. Georges, le père, est allongé dans sa chambre, Amélie gît dans une autre pièce et Louise, est là par terre, juste à la porte de la chambre de Georges. Ils ont tous été massacrés, le crâne défoncé et de multiples blessures faîtes à coups de serpe … serpe qu’Henri Girard avait emprunté la veille …
EXTRAITS
Amélie Girard a subi un sort pire encore, les sections des os du crâne sont multiples, sur presque toute la surface de la boîte crânienne («un véritable broiement ayant ouvert le cerveau»), six plaies sont pénétrantes, la matière cérébrale s’écoule de tous les côtés, elle porte «de nombreuses et profondes blessures aux main, dont l’une a presque complètement sectionné le médius gauche», et contrairement aux deux autres victimes, des plaies dans le dos, cinq, au-dessus des reins, de part et d’autre de la colonne vertébrale, « obliques et d’une profondeur de six à sept centimètres ».Henri se lève le lendemain matin vers 9h00. La porte de communication avec les pièces principales est close. Il est surpris car il ne se souvient pas l’avoir fermée hier soir. Il avance et découvre le massacre. Il appelle les secours en hurlant.
Dix minutes plus tard, un cri déchirant, déchiré, retentit dans la vallée : « Au secours ! Au secours ! ». Alphonse Palem, le maire du bourg depuis seize ans, travaille dans son potager (sa maison est la plus proche du mur d’enceinte du parc, à une trentaine de mètres à peine du grand portail). Il lui semble avoir reconnu la voix du fils Girard, mais il ne sait pas s’il a entendu « Au feu ! » ou si le barjot est encore en train de pousser l’une de ses chansons de sauvage.
Seul héritier d’une famille riche et surtout seul survivant, à la fois personnage fantasque, ambigu, dépensier et capable d’énormes colères, Henri Girard n’est pas toujours apprécié par son entourage et ne bénéficie pas d’une présomption d’innocence très prononcée. En fait, tout le désigne comme le coupable idéal, surtout les gens « gens qui savent tout sur tout » !
Il sera emprisonné 19 mois en attendant d’être jugé. Aucune trace de sang ne sera trouvée sur ses mains ou ses affaires et ce ne sera pas faute de ne pas avoir cherché ! Son procès aura lieu entre le 27 mai et le 2 juin 1943. Dix minutes ont suffit aux jurés pour le déclarer innocent. Il a échappé à la guillotine et ce n’était pas gagné d’avance ! Mais au cours sa vie, la question fatidique «Alors, tu les as tués ou pas ?» reviendra maintes fois sans le laisser en paix.
EXTRAITS
En dix-neuf mois d’enquête scrupuleuse et approfondie, qui leur a permis de connaître le prix d’un whisky au Ramuntcho ou la marque du piano de la grand-mère d’Henri, Marigny et ses amis n’ont pas été capables de découvrir que l’une des victimes avait retiré 6000 francs à sa banque l’avant-veille de sa mort, 6000 francs qu’elle n’a pas pu dépenser, puisqu’elle n’a plus quitté Escoire (Louise non plus), 6000 francs qui ne se trouvaient plus dans le château samedi matin, qui ont été volés.
Après sa période d’incarcération, ce ne sera plus le même homme. Il divorcera, laissera ses enfants, dilapidera son héritage et partira en 1947 pour l’Amérique du Sud où il aura une vie plus qu’aventureuse. Il en reviendra en 1949 sans un sou, il se lancera dans l’écriture sous le nom de Georges Arnaud. Il réussira à faire publier son premier livre en 1950 aux Editions Julliard, Le salaire de la peur qui sera adapté au cinéma avec les acteurs Charles Vanel et Yves Montand. Le film obtiendra, en 1953, la palme d’or à Cannes et l’Ours d’Or du festival de Berlin. Georges Arnaud redeviendra riche et célèbre, du moins pour un temps. Son pseudonyme est composé de Georges, prénom de son père et Arnaud, nom de jeune fille de sa mère. Il ne s’est jamais remis de la disparition de celle-ci quand il avait 9 ans. Sa mère, Valentine était une intellectuelle de gauche et lui a apprit tout ce qu’il sait.
EXTRAITS
« Ma mère était un ange, de la variété laide, anarchiste et athée, comme mon père. Mais les autres étaient du genre pieux. Alors ils lui ont fait la guerre, en vache, à l’étrangère. Ça a duré dix ans, puis elle est morte : quand elle est tombée malade et qu’il lui a fallu des soins coûteux, grand-mère a coupé les vivres ».
Ensuite, il se remariera encore une fois et militera contre la torture en Algérie aux côtés de Jacques Vergès. Il s’installera dans ce pays en 1962 et y restera une dizaine d’années.
Le roman de Philippe Jaenada examine le contexte de la France rurale misérable et exploitée durant ces années de guerre. Le jour des meurtres, Amélie avait retiré une grosse somme de son coffre à Périgueux. Cette somme a disparu mais tous ses bijoux sont restés là.
Le témoignage du fils du gardien, Fernand Doulet, contredit beaucoup trop celui d’Henri Girard concernant l’heure à laquelle il y avait encore de la lumière aux fenêtres du château le soir des faits. Le jour de la découverte des corps, Yvonne Doulet, l’épouse du gardien et mère de Fernand a directement et copieusement chargé Henri Girard. Les gardiens logeaient dans une petite maison sans électricité et pratiquement insalubre à côté du château. Un jour, lorsque les châtelains n’étaient pas présents, ils avaient préparé une installation de fortune avec un très long fil électrique qui partait du château jusqu’à leur maison afin de bénéficier de l’éclairage. Lorsque Georges Girard l’a su, il leur a demandé de supprimer ce montage qui était dangereux et non conforme. Il leur a promis un dispositif électrique adéquate très rapidement mais rien n’a été fait.
C’est la troisième fois que Philippe Jaenada se penche sur le cas d’une personne ordinaire jetée sans ménagement dans un cauchemar. Il y a eu Sulak en 2013, le braqueur de bijouteries, gentleman cambrioleur, tel Arsène Lupin. Ensuite en 2015, La Petite Femelle où il a réhabilité Pauline Dubuisson, une étudiante en médecine condamnée à perpétuité en 1953 pour avoir tué son amant, puis libérée pour bonne conduite. Et enfin, La Serpe, en 2017, où il décortique la vie passée d’Henri Girard afin de comprendre les évènements.
Ma note : 4/5
Ce que j’en pense…
Enquête bien menée pour ce fait-divers incroyable, fascinant, à l’image de la vie d’Henri Girard. C’est son petit-fils qui demandera à Philippe Jaenada de refaire l’enquête car au fond de lui, il croit son grand-père innocent.
EXTRAIT
Un jour, l’un de mes amis me dit « Tu devrais faire un livre sur mon grand-père, Georges Arnaud, il a été millionnaire, clochard, militant FLN, c’est lui qui a écrit Le Salaire de la peur, adapté au cinéma avec Montant et Vanel ». Je n’étais pas très chaud. Et puis, il ajoute : » Ah oui, il a aussi été accusé d’avoir tué une partie de sa famille, dont son père, à coups de serpe, en 1941… ». Là ça changeait tout, je me suis dit que je tenais un personnage de méchant comme j’en cherche toujours. Même si, en enquêtant, j’ai fini par gratter les couches de noir dont on l’avait recouvert… »
En octobre 2016, Philippe Jaenada enfile son costume de fin limier et partira une dizaine de jours sur Périgueux pour refaire cette enquête autour du château d’Escoire où a eu lieu le massacre à la serpe soixante quinze ans plus tôt.
Dans cette histoire, nous avons quatre points :
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Le déroulement du triple meurtre
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Des références faites à l’histoire de Pauline Dubuisson dans le livre La Petite Femelle, accusée d’avoir tué son ami et pas acquittée.
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Des moments historiques et détaillés pendant ces temps d’occupation comme l’Algérie, Jacques Vergès etc …
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Des anecdotes autobiographiques de la part de l’auteur qui ne sont pas sans humour !
Avec son sens de l’observation tout particulier, Philippe Jaenada reprend point par point les éléments de ses prédécesseurs. Il associe des éléments du passé avec des références actuelles. Il les décortique et nous fait profiter des réflexions sur ses flash-back ainsi que de ses déductions pour trouver le véritable coupable de cette tuerie qui n’a jamais été inquiété.
C’est aussi un roman sur l’amour père et fils, l’admiration dans les yeux de l’autre. Dans les documents qu’il trouve, notre auteur déchiffre la tendresse entre Georges et son fils Henri. Cela bouleverse Philippe Jaenada et le renvoie à la relation qu’il entretient avec son propre fils, Ernest. Dans les années 40 et de surcroît en ces temps de guerre, les sentiments ne s’avouaient pas, en tout cas pas si clairement. L’amour de Georges Girard pour son fils Henri est au cœur du drame. Le père et le fils s’écrivaient et ne ne cachaient pas leur tendresse réciproque. a, personne ne le savait. Tout le monde s’est fié aux apparences trompeuses de ce fils à l’allure hirsute, pas très raffiné, dépensier et parfois colérique qu’était l’héritier pour l’accuser de cette apocalypse familiale diabolique.
La serpe
Auteur : Philippe Jaenada
Editions : Julliard
Publication : 2017
643 pages
IBSN : 2-260-02939-6
Catégories :Auteur français Littérature française Polar/Thriller
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