

Les faits se déroulent pendant la seconde guerre mondiale et la rage et surtout de l’amour pour la vie et pour les siens crient à travers les mots et les lignes.
Le 10 juin 1940 au Havre, ville martyre, l’évacuation a été ordonnée. Un flot de personnes se jette sur les routes pratiquement sans rien, seulement leurs papiers, des couvertures, des choses utiles ou inutiles, leurs vies dans un sac, sur leur dos … Il fallait fuir à toutes jambes, l’ordre d’évacuation était tombé, les bombes allaient être lâchées sur la ville !
Depuis trois semaines, les adultes ne parlaient plus que de cela, «l’exode», c’est-à-dire un tas de gens qui arrivaient du Nord entassés dans leurs automobiles comme les harengs dans les bocaux de feu mémé Léonie. Jean, Joseph, Marline et moi, nous étions allés les voir passer sur le boulevard et j’avais pensé, on peut donc être riche et pauvre à la fois, posséder une automobile et tout laisser derrière soi ! Nous au moins, nous n’avions rien à regretter.
Dans ce chaos, deux familles sans pères ni maris se joignent à la foule désordonnée. Les routes sont encombrées d’hommes, de femmes et d’enfants qui restent muets, qui pleurent, qui cherchent à se rassurer. Lors de la fuite, ils évitent de regarder les corps des jeunes, des moins jeunes allongés sur le bas côté des routes. Ces corps avec de petits trous noirs sur les jambes, sur leurs vestes, une mèche de cheveux caressée par le soleil balayant leurs visages. Il faut avancer, il faut se mettre à l’abri. Une ferme accueille les plus chanceux de ces réfugiés de la guerre contre de petits travaux en échange d’un peu de paille et d’un repas. Ils pourront rester quelques jours ou quelques semaines …
Mais en vrai, rien n’allait bien. Nous n’avons même pas pu dépasser le croisement, à peine cent mètres plus loin. À perte de vue, des automobiles stationnées en files désordonnées empêchaient le passage. Partout, des gens étaient assis à même le goudron et nous mettaient en garde : la queue au bac dépassait maintenant les sept kilomètres. Nous ne traverserions pas aujourd’hui, c’était certain.Maman et Muguette étaient toutes pâles.— Les Boches arriveront ici avant qu’on ait posé un orteil sur ce fichu bac, a grommelé Jean sans qu’elles ne l’entendent.J’ai serré très fort les dents pour empêcher mes larmes de monter, notre départ ne ressemblait plus du tout aux promesses de maman, « Tout est prévu, tout est organisé les enfants, disait-elle, la mairie s’en est occupée, ce sera une grande promenade, nous qui ne voyageons jamais, croyez-moi, il n’y a rien à craindre ! ».Autour de moi, je ne voyais que des sourcils froncés, des enfants en pleurs, des vieillards épuisés par l’inquiétude, alors j’ai supplié en silence que papa surgisse, qu’il vienne nous sauver parce qu’il aurait trouvé comment faire, c’est sûr, il nous aurait pris dans ses bras et aurait traversé la foule jusqu’au bac, mais évidemment il n’y a pas eu de miracle, papa est resté là où il était et il a bien fallu nous asseoir à côté des autres.
Puis la nouvelle d’un retour possible en ville arrive. La joie de retrouver sa maison, qui peut-être, n’aura pas été bombardée. Combien d’aller et retour ont-ils déjà fait ! Beaucoup trop ! Et de nouveau la peur de l’ennemi allemand, le froid, les maladies, le rationnement. L’histoire de deux familles havraises pendant la seconde guerre mondiale. Joffre, revenu depuis peu, sa femme Emélie, tous les deux concierges d’école, et leurs deux enfants adolescents Lucie, Jean et Mouke, le chat. Muguette, vendeuse au Printemps, sœur cadette d’Emélie et maman de Joseph et Marline, une petite fille qui ne parle plus depuis le début de l’occupation. Ils sont sans nouvelles de son mari prisonnier de guerre. Des familles qui se débattent pour pouvoir survivre.
Depuis son retour, Joffre a beaucoup changé. Il ne parle pas beaucoup, il est taciturne, intransigeant. Sa femme et son fils ne le reconnaissent plus vraiment. Est-il toujours le même homme, que cache t-il ? Chez Muguette et ses enfants, tout est un peu plus léger. Le caractère de Muguette y est pour beaucoup. Elle ne veut surtout pas montrer sa tristesse de ne pas avoir de nouvelles de son mari. Mais les mois passent et avec la fatigue, les privations et l’inquiétude, Muguette tombe gravement malade. La tuberculose fait une victime de plus. Ses chances de guérison sont infimes et elle doit partir pour se faire soigner au sanatorium d’Oissel. Emélie la persuade d’envoyer ses enfants, Marline et Joseph en Algérie. Ils seront accueillis dans des familles qui prendront soin d’eux et ils mangeront à leur faim. C’est un crève-cœur pour Muguette. Son fils Joseph a un caractère fort mais la petite Marline qui ne parle plus … Quand reviendront-ils ? Muguette fait promettre à Joseph de ne pas abandonner sa sœur au cas où elle ne survivrait pas …
La honte, la souffrance, la peur, la faim … tellement de familles indestructibles par l’amour qui les liait entre elles ont été séparées, ravagées par la guerre ! Qu’en était-il de l’espoir qui les réunirait un jour ?
Avant de quitter le Havre, on nous avait expliqué que des adultes, nos parrains et marraines, viendraient nous chercher dans une école de la ville et nous emmèneraient aussitôt chez eux, un privilège supplémentaire, avaient souligné les dames Guynemer qui cherchaient à nous convaincre de notre bonne fortune, la plupart des groupe précédents avaient dû patienter plusieurs jours avant d’être confiés à leurs familles d’accueil, or, cette fois, les circonstances étaient favorables.
En chemin, mon parrain m’a expliqué que nous nous rendions à Souma, un village situé à une bonne vingtaine de kilomètres d’Alger, près de Boufarik où il était directeur d’un centre de recherches sur les agrumes.

Ce que j’en pense…
Mes parents avaient 9 ans quand la seconde guerre mondiale a été déclarée. Ils habitaient Paris et eux aussi ont été déplacés dans des fermes pour être en sécurité et manger à leur faim. Adultes, ils ne nous ont pas ou très peu parlé de cette époque. Je me souviens juste une fois où ma mère a dit : «mais tu ne peux même pas savoir ce que ça fait d’entendre le bruit des bottes allemandes dans la rue ! ». Dans cette petite phrase, elle avait déjà dit beaucoup de choses …
Le récit de Valérie Tong Cuong nous emmène au Havre, une des villes martyres de la lutte contre les nazis. Pratiquement tout a été détruit et en partie par les bombardements alliés. Le 5 septembre 1944 voit le début des offensives et c’est un déluge de bombes au phosphore. Une importante garnison allemande avait ses quartiers au Havre et comptait bien y rester. C’est certainement ce qui a justifié la force de frappe des anglais. Le 12 septembre 1944, les troupes anglo-canadiennes entrent dans la ville mais ne sont pas accueillies comme dans le reste de la France avec des scènes de liesse. La population leur offre un accueil glacial et la presse les surnomme les « libératueurs » (sources : Le Figaro).
Des rues du Havre à l’Algérie où les enfants étaient évacués, des chemins de l’exode au sanatorium d’Oissel, c’est la vie de gens ordinaires qui s’entremêlent à l’Histoire et qui nous rappelle que dans des cas extrêmes, ces gens ordinaires deviennent des héros dans le cœur et dans l’âme. Au fil des pages, nous vivrons la vie journalière de ces deux familles havraises dans la tourmente, la peur, le désarroi. Nous comprendrons le courage qu’il a fallu à ces gens pour résister aux privations et aux horreurs de la guerre. Chacun raconte ce qu’il ressent et tous les changements que la guerre a brutalement provoqué en eux.
Outre l’histoire familiale, l’autrice ne manque pas d’exposer la situation générale française et européenne et s’étend un peu plus sur le sort de l’Algérie qui vivait encore son époque coloniale.
C’est une lecture intense, émouvante, qui parfois vous fera monter les larmes aux yeux tant vous rentrerez à travers les lignes et les mots en vous répétant : « mais comment est-ce possible ? ». Ce sont des souvenirs transgénérationnels. C’est une lecture de transmission, ne pas oublier l’inoubliable.
Par amour
Auteure : Valérie Tong Cuong
Éditions : J.-C. LATTÈS
IBSN/EAN : 9782709656047
Parution : Janvier 2017
416 pages
Auteure : Valérie Tong Cuong
Éditions : J.-C. LATTÈS
IBSN/EAN : 9782709656047
Parution : Janvier 2017
416 pages
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